Automnales
Dans la Vallée des Auts' Mecs, la saison tourne. Lété violent est mort, on respire enfin.Trop bling-bling l'été, je lui préfère largement cette saison lente et pudique. Il neige enfin sur les hauteurs et j'assiste impatient à la progression de cette frontière vers le bas. Une lisière qui se déplace sans cesse, réinventant les limites des vastes solitudes. Et du monde agrandi. Car vidé de nous. Presque. Je sais bien que c'est pas vrai, mais si à mon âge on n'est pas encore capable de choisir de façon raisonnable ses illusions...
J'aime rêvasser en contemplant les étendues de neige lointaines. Mon esprit-oiseau aime survoler cet éden violent et virginal. Je ne pense à rien, ce qui est une des manières les plus précieuses que je connaisse d'être libre pour un temps.
Les forêts se préparent. C'est la grand marée annuelle des sèves, la migration secrète vers les profondeurs silencieuses de la terre. Dans l'imagerie classique, cette saison est celle de la mélancolie. Tous les ans je galère pour trouver un poème d'automne à mes élèves. Faut bien respecter les traditions programmes... Que des épanchements élégiaques... Je fais toujours un choix par défaut.
On devrait prendre exemple sur les feuilles, toutes ces couleurs, cette apothéose bigarrée et odorante, ce piège à lumière qui rend le soleil fou. Elles meurent...Oui, elles meurent... Qui n'aimerait pas mourir de joie un jour, dans longtemps si c'est mieux ?
Bon, j'ai un peu traîné au milieu de tout ça, j'ai quelques images. Je n'ai plus de prétentions photographique si tant est que j'en ai eues... Mes images fixent ce que j'ai vu (ou que j'aurais aimé voir, parfois). Avec le temps qui passe je me rends compte qu'elles constituent un excellent fil conducteur pour ma mémoire. Je regarde une photo et hop, le tiroir du souvenir s'ouvre et les sensations s'échappent. Je revis l'instant associé. C'est finalement le sens premier de la photo ça il me semble. Bref.
Lors du brame, je n'ai pas trop cherché à approcher les cerfs, me contentant d'écouter leur concert chaque soir. On est tout de même allé passer une nuit à la cabane avec ma petite soeur.
Au matin nous avons assisté au spectacle de ce cerf très intéressé par cette biche. Le jeune, au milieu, semblait demander "C'est qui le monsieur maman ?"
Obnubilé par sa quête (je retiens ici un ignoble jeu de mots), le mâle s'est petit à petit rapproché de nous :
Pour se retrouver tout près de la cabane où il nous a soudain vus sans que cela semble l'affecter plus que ça.
Non décidément, nous étions entités négligeables... Il avait autre chose à faire :
Rien à faire des hommes... Ni de leurs animaux d'élevage non plus :
Un peu plus loin son attention a été attirée par un rival sortant de la forêt :
Lui aussi l'avait repéré :
L'intru s'est à son tour rapproché de nous :
Suivi de près par notre premier individu :
Qui nous a jetés un regard distrait avant de s'assurer que l'indésirable ne traînerait plus dans le coin :
Ce même jour, un aigle royal et un grand corbeau se sont croisés au-dessus de nos têtes :
Plus haut, un autre jour, sur les hauteurs de l'Everest alangui dans la chaleur de l'été indien, j'avais croisé ces oiseaux d'altitude, craves à bec rouge et accenteur :
En ce moment des vols de chardonnerets remontent les vallées. Certains font halte dans le jardin. De sa falaise, je sais que le faucon pèlerin les guette :
Et ce week-end, je n'ai pas résisté à la nécessité d'aller dormir à nouveau à la cabane. Sur le chemin j'ai fait une halte à la falaise aux vautours :
La forêt est somptueuse. Ce spectacle éphémère me fait tourner la tête :
Pour finir, je voudrais saluer la mémoire du photographe Christophe Sidamon Pesson qui a choisi de quitter ce monde il y a peu. Je ne le connaissais pas mais j'admirais son travail. Je devinais à travers lui une sensibilité particulière, qui me parlait, qui me plaisait.
"Les dernières lueurs du jour s'attardent pour moi,
Elles projettent mon image après les autres et aussi vraie que les
autres sur les déserts envahis par l'ombre,
Elles m'invitent vers la brume et la nuit.
Je m'envole sous forme d'air, je secoue ma crinière blanche
vers le soleil qui s'enfuit,
Je répands ma chair en tourbillons et la laisse aller à la dérive
comme une queue de dentelle.
Je me lègue à la terre pour pouvoir renaître de l'herbe que j'aime
Si tu veux me revoir, cherche-moi sous la semelle de tes souliers.
Tu ne sauras guère qui je suis ni ce que je signifie,
Mais je serai pourtant de la santé pour toi,
Je purifierai et fortifierai ton sang.
Si tu ne réussis pas à m'atteindre du premier coup, ne te décourage pas,
Si tu ne me trouves pas à un endroit, cherche à un autre,
Je suis arrêté quelque part et je t'attends. "
C'était du Walt Withman.