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Dans la vallée des auts' mecs
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13 juin 2013

Des heures dans les herbes

Où je peux expliquer pourquoi ceci n'est pas une tentative d'oeuvre d'art mais un vrai coquelicot :

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Je cours la Vallée des Auts' Mecs à la recherche de lieux que, quand je les ai trouvés, je nomme : Paradis. Alors j'ai la satisfaction d'avoir choisi tout seul ma prison, d'avoir tout seul fermé la porte de ma cellule et jeté la clé. Il y a ainsi certains coins de forêt, certaines arêtes rocheuses, certaines gorges humides qui recèlent une part de moi-même  laissée là en cas de besoin.  Hier, j'ai fugué dans un de ces univers, le plus proche, le plus immédiatement enveloppant : mon jardin, en compagnie de vers lus dans un  livre que j'ai reçu en cadeau pour mon anniversaire : "Feuilles d'herbes" de Walt Whitman :

"Un enfant m'a dit "Qu'est-ce que l'herbe?" en m'en apportant à pleines mains ;

Quelle réponse donner à l'enfant ? Je ne sais pas plus que lui ce que c'est.

Je suppose que c'est le drapeau vert de mon humeur taillé dans le tissu vert de l'espérance [....]

Ou bien je suppose que l'herbe est elle-même un enfant, le bambin de la végétation." etc, etc....

J'apporte mes éléments de réponse :

Les herbes, c'est d'abord ce foutu amas de graminées qui me fait tousser, pleurer, qui me donne une tête de mec vraiment défoncé et pas au gros rouge comme c'est plutôt de coutume par ici :

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Les herbes, dans mon jardin, sont heureuses, loin du désert béant des abords ordonnés des maisons des auts' mecs, elles ne donnent pas l'impression "d'avoir peur de la police" (Pessoa)

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L'herbe comme l'homme peut être victime du racisme. Pas chez moi. L'ortie a le droit de répandre sa mauvaise graine partout, n'en déplaise à Monsanto.

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Mes herbes domestiques ne sont jamais loin de leurs soeurs du sous-bois qui les guettent dans le clair-obscur de leur jolie lisière :

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Ce que je n'ai pas encore vu, touché, entendu, goûté, doit nécessairement m'apprendre quelque chose sur moi-même. C'est pour ça que j'aime m'asseoir puis me coucher dans l'herbe. Alors, l'univers change, alors, mon jardin devient la nature entière. Et moi, je deviens si petit et si calme, si infiniment tranquille, que je crois bien que je finis par disparaître. Alors je regarde sans penser ces êtres qui peuplent notre indifférence : ils ne sont que ce qu'ils font et ne savent même pas qu'ils ne savent pas pourquoi ils vivent.

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Je me colle au plus près des fleurs pour évaluer la complexe simplicité de leurs formes et couleurs, puis je m'en éloigne pour les contempler à travers le filtre des autres herbes jalouses :

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Puis le vent se lève sur tout ça, il agite mon petit champ de seigle, c'est beau :

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Les coquelicots qui s'y cachent sont ballottés par les hautes tiges de la céréale :

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Le mouvement s'empare du peuple de l'herbe et de moi qui n'ai désormais que la taille de ce que je vois :

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Et la nature se met à peindre, du moins c'est moi qui dit qu'elle peint, mon coquelicot :

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Alors je comprends ce qu'a vu Monet. Alors je comprends qu'on m'a encore enflé en me racontant que les peintres impressionnistes appliquaient leur technique si particulière en vu de donner l'illusion de la réalité. C'est faux, ils ne pensaient pas du tout à ça, j'en suis sûr, ils peignaient simplement la réalité qu'ils voyaient.

Pauvre coquelicot, on pourrait mal t'interpréter, on pourrait croire que je me prends pour un photographe, pour un artiste, que je suis un photoshopeur compulsif à tendance narcissique, je m'en fous.

Je te trouve beau mais dans le fond tu ne l'es pas. Tu as juste forme, couleur et mouvement : existence.

Pessoa me le rappelle :

"La beauté est le nom de quelque chose qui n'existe pas

Que je donne aux choses en échange du plaisir qu'elles me donnent.

Elle ne signifie rien.

Alors pourquoi est-ce que je dis des choses : elles sont belles ?

Eh oui, même en moi, qui ne vis que de vivre,

Invisibles, ils s'immiscent, les mensonges des hommes

Devant les choses,

Devant les choses qui tout simplement existent."

"Le gardeur de troupeaux"  Fernando Pessoa 1914

 

Alors voilà, en me relevant, en reprenant ma posture d'homme qui foule les herbes, j'emporte cette vision de toi, fragment d'existence que j'exprime :

Ceci est le coquelicot que j'ai vu aujourd'hui ,

tel que je l'ai vu et donc tel qu'il était,

quand, le cul dans l'herbe, je n'avais aucune pensée et n'étais personne.

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